Mon histoire, ma vie
Sasha est une erreur, le grain de sable dans la machine, la branche qui coince la roue, la pluie torrentielle qui s'abat sur vous quand vous sortez pour profiter du soleil. Elle est l'élément déclencheur, celle qui met les choses en route, qui précipite les événements, qui ruine les fins heureuses, gâche les événements, vous force à emprunter une autre route ou affronter des problèmes qui n'existaient pas -ou dont vous niez l'existence- avant qu'elle n'entre dans votre vie. N'allez pas la plaindre. Aussi grand soit le manque de confiance abyssal que cela a créé chez elle, Sasha en est parfois satisfaite. La vérité n'est-elle pas mieux qu'un mensonge agréable à vivre ? La vérité ne permettait-elle pas de grandir, d'avancer, de prendre des décisions en toutes connaissances de cause ? Jamais l'illusion ne lui parait être une bonne manière de vivre, et pourtant merlin sait qu'elle aurait parfois aimé.

Comme vous l'aurez compris, Sasha n'était pas désirée. Un accident de parcours comme ça semble pouvoir arriver. Loin d'une coucherie d'un soir, Eléanor & Philipp Naelys étaient mariés mais ne voulaient simplement pas d'enfants, heureux comme ils étaient, revendiquant leur volonté d'indépendance, leur absence de fibres maternels ou paternels, et Sasha peut en attester. Malheureusement, il était trop tard pour avorter lorsque Eléanor appris qu'elle était enceinte. Ils avaient décidé de faire adopter, mais la pression sociale fut trop forte, entre les soeurs, frères, parents, cousins et grands-parents. Ils avaient déjà eu du mal à supporter, concevoir, accepter -et pour certains ça n'avait jamais été le cas- que le couple refuse d'avoir des enfants, maintenant qu'il y en avait un en route, ils n'allaient certainement pas les priver de leur neveu·ièce/cousin·e/petit·e-fils·le/... bref, parent·e. Alors bien malgré eux, ils l'ont accueillit, essayant d'être parés au mieux pour qu'elle soit bien.

Et en effet, Sasha y fut bien. Elle n'eut jamais aucun problème de santé, pas de problèmes de nutrition. Elle grandit sur un tapis d'éveil, dans un petit lit, puis dans une poussette, sur un vélo à roulettes, dans sa propre chambre, et à table, bien éduquée. Elle fut évidemment envoyée à l'école comme tous les enfants moldus de son âge, où elle y vivait la vie la plus normale qu'il soit. Assurément Sasha n'a manqué de rien, jamais. Elle avait des jouets, des repas, elle allait même à la fête foraine à l'occasion. Tout, sauf l'affection de ses parents. Nul drama, elle ne se formulait jamais qu'ils ne l'aimaient pas, elle savait qu'ils les aimaient, elle n'a juste jamais connu la tendresse, l'affection, les câlins, les attentions, le plaisir d'activités avec eux. Elle jouait seule même quand ils étaient là, mangeait seule par le simple fait qu'ils l'excluaient de leur conversation, dormait seule, allait à l'école seule -en bus- faisait ses devoirs seule. Nulle cruauté, Eléanor & Philipp avaient juste d'autres choses plus importantes à faire, alors tôt, Sasha a cessé d'attendre, de faire des caprices, pour avoir de qu'elle voulait : elle allait le chercher elle-même même quand il n'y avait rien. Au début, ce n'était rien. Elle se retrouvait avec une sucette dans la bouche que ses parents pensaient qu'elle avait récupéré par terre ou par un copain. Puis, il s'agissait de jouets qu'ils n'avaient jamais payé -quel ami possédait de quoi couvrir le sol de sa chambre de billes ?- ou de devoirs qu'ils n'avaient jamais signé, de cadeaux qu'ils étaient sûr d'avoir cachés, de rendez-vous qu'ils oubliaient, de réveils qui ne sonnaient pas, de pancakes qu'ils se retrouvaient à faire alors qu'ils n'avaient ni oeuf, ni farines ni envie de pancakes.

Pour Sasha, tout cela était normal, mais pour Eléanor & Philipp quelque chose clochait. Alors, dans le regard de ses parents, Sasha vit disparaitre l'indifférence pour la méfiance, l'appréhension, la crainte, l'incompréhension, l'inquiétude. Et elle, elle répondait juste qu'elle avait demandé. A qui, lui demandait-on. A quelqu'un. Elle demandait et ses voeux s'exauçaient. Etait-il vraiment utile de savoir qui les exauçait ? Le qui était-il vraiment important ? Aux yeux de ses parents, sans aucun doute, mais pas aux siens. Alors, la petite Sasha se renferma sur elle-même, cessa de demander, même quand elle désirait très fort. Des désirs qui s'exauçaient parfois. Elle finit par avoir peur de ses propres désirs. Elle ne souhaitait plus briller en classe, avoir des amies, que ses parents restent avec elle, d'avoir un p'tit déjeuner copieux ou d'avoir davantage de jouets ou de nourriture. Elle ne souhaitait plus rien, plus personne, plus être même.

Il faut toujours faire attention à ses souhaits.

L'intervention d'un membre du ministère de la magie pour leur expliquer la situation, qui était leur fille, éclaircit bien des lumières. Si la compréhension fut atteinte, l'appréhension et l'incompréhension ne quittaient pas le regard de ses parents. Pourquoi elle ? Pourquoi leur fille ? Y avait-il un moyen de lui retirer cette magie, pour qu'elle redevienne "normale" ? Si elle l'avait été un jour... L'employé n'esquissa qu'un sourire bref et désolé avant de leur annoncer que leur fille passerait les 7 prochaines années dans une école de magie qui lui apprendrait à user de ses pouvoirs. L'horreur pour des parents qui ne comprenaient ni la magie, ni leur fille, qui se demandaient comment appréhender cette situation avec la famille, les amis, les voisins. Mais Sasha se fichait bien de tout cela, elle était une sorcière. Quelque part, il y avait une place pour elle, car elle était bien consciente qu'elle n'était pas ici. Un endroit pour les gens comme elle, un endroit où elle serait accepté et comprise.

Les achats pour Poudlard furent toute une aventure. Les Naelys encadrant leur fille qui observait les lieux émerveillés, traversèrent le chemin de traverse aussi peu rassurés que s'ils se baladaient dans un territoire mafieux. Rassurés de ne pas avoir à débourser le moindre sou -pas les moyens d'investir dans un avenir qui était inexistant dans le monde réel- ils l'accompagnèrent dans chaque boutique, vaguement rassurés chez Fleury&Bott -des livres, ça va-, beaucoup moins chez l'apothicaire, et intrigués autant que craintifs chez Ollivander. Finalement, ils ne s'attardèrent pas plus que nécessaires et après une brève attente -trop longue au goût de Sasha comme de ses parents- ils l'accompagnèrent jusqu'à la voie 9 3/4 où ils l'abandonnèrent au bon soin d'un train secret, se demandant bien ce qui allait arriver à leur fille et comment avoir des nouvelles.

Pour Sasha, Poudlard, c'était l'occasion d'avoir une place. Ses premiers dans le monde de la magie l'avait émerveillée et son envoi à Poufsouffle entièrement satisfaite. Dénuée du moindre préjugée, elle avait aimé ce qu'elle en avait entendu durant le choixpeau même si elle se doutait que chaque maison prônait des valeurs importantes. Mais si elle ne s'est jamais ressentie rejetée au sein de sa maison, elle a très vite déchanté sur l'univers de la magie. Trop magique pour ses parents, elle était trop moldue pour les sorciers. Une nouvelle fois, elle était de trop, ni vraiment à sa place ici ni vraiment à sa place là-bas. Ce fut le début d'une longue et complexe scolarité pour Sasha. Elle se fit des amis, en particulier à Poufsouffle, de bonnes copines, des amis, et plus rarement, de vrais amis, le genre avec qui on traîne, à qui on peut parler, avec qui il existe ce lien particulier où l'on est sur la même longueur d'onde. Jonglant entre insultes et gentillesses, Sasha n'a cependant jamais su se débarrasser de l'impression d'être une imposture, d'être là par erreur, par hasard, comme si elle avait prit la place de quelqu'un d'autre.

Elle n'a pas moins fait son nid à Poudlard. Année après année, elle a travaillée dur, étudiant la magie d'abord avec passion, en particulier l'Histoire de la Magie, comme pour combler le retard qu'elle aurait sur ses camarades, en particulier les enfants de sorciers, avec la hâte de ceux qui ignorent, découvrent et veulent tout voir, tout savoir, tout connaitre, tout comprendre. Puis, se fut par entêtement, elle avait ses preuves à faire, envers elle-même, envers les autres surtout, l'envie de prouver qu'elle était une sorcière à l'égal des autres alors qu'intérieurement, elle n'y croyait pas. Un entêtement pour combler une inégalité de façade. Et enfin, ce fut par intérêt. Elle avait toujours été intéressée par le journalisme, d'aussi loin qu'elle se souvienne. En se penchant sur les carrières possibles, elle n'avait au d'accroche qu'avec ce job même si étudier l'Histoire de la Magie l'aurait également tenté, ou faire des recherches sur la magie. La transformation de cette vague inclination en but l'a énormément soulagé et lui a permit de tenir bon aux BUSEs. C'est comme si un véritable avenir l'attendait après Poudlard et cela lui permet de repousser la probabilité qu'elle retourne chez ses parents après ses études.

Loin de ses préoccupations scolaires, Sasha fut un peu perdue dans les premiers temps, au milieu de ses visages et ce lieu qui lui était inconnu. Si elle s'y familiarisera et nouera un vrai lien affectif avec sa maison, son ambiance, ses valeurs, ses membres, la jeune sorcière ne se débarrassera pourtant pas d'un certain sentiment d'insécurité, comme si elle risquait d'être expulsée à toutes heures. Ses retours chez ses parents n'arrangeait pas ses sentiments, car elle en revenait toujours différente, changée. C'est comme s'il y avait exister deux Sasha, celle de Poudlard, pleine sorcière avec ce complexe d'infériorité de née-moldue, et la Sasha de ses parents, celle qui était trop magique, mais faisait de son mieux pour correspondre à leurs attentes. S'adapter, devenir la bonne Sasha, suivant l'endroit où elle se trouvait, prenait du temps, à tel point qu'elle avait l'impression de virer schizophrène. L'incompréhension de ses parents face à sa situation accentuait sa détresse, qu'elle préféra taire, encaissant, revenant de moins en moins souvent, jusqu'à ce contenter des vacances d'été. Il faut dire que le sentiment de rejet, de solitude avait fait naître une sorte de rancœur envers ceux qui ne la comprenaient pas, ne le cherchaient pas vraiment non plus. Une rancœur d'abord sourde, comme un bourdonnement de fond, mais qui se tinta d'agacement, plus de colère, presque d'indignation, face à ses gens qui ont témoignés si peu d'amour à son encontre. Les rares tentatives de conversations ayant avortés dans des disputes où personne ne s'écoute, Sasha couvre une rancœur vive contre eux qu'elle sait ravaler lorsqu'elle est à Poudlard mais qui la rend taciturne à l'approche de son retour chez elle.

Car si la demoiselle conserve une fragilité certaine, presque abyssal, elle a aussi grandit et mûrit depuis ses premières années. La lecture n'a jamais quitté ses centres d'intérêts, mais le club de potion a éprouvé sa patience et lui a montré les limites de ce qu'elle était capable d'endurer et lui a permit de les dépasser. Elle a appris à voler, au moins convenablement même si elle n'est pas faite pour le Quidditch, tout comme elle a appris à ne pas toujours être une gentille fille. Si elle manque encore de répartie, elle ne manque ni de culture, ni d'intelligence, et surtout aspire à la justice, l'équité mais n'ambitionnera jamais d'avoir la loyauté de personne. Les seuls qui auraient dû la lui donner sont ses parents. Si eux en sont incapable, personne ne pourra jamais l'être envers elle. Certaine de vivre aussi seule qu'entourée, Sasha continue sa route avec comme but d’œuvrer à la vérité, tant pis si ça ne plait pas, avec l'impression de s'être tue trop longtemps, et celle, lancinante, que sa voix ne compte pas. Intuitive et empathique, Sasha sait que de nombreuses embûches sont encore sur son chemin et elle les attends sereine tout en sachant que chacune est susceptible de la mettre à terre. Elle ne croit pas au miracle, en elle encore moins, mais se battre pour autrui, ça, elle en est capable, et se battre pour faire ses preuves elle le fera jusqu'au bout.